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Titel
Auf Bewährung. Die Straffälligenhilfe im Raum Basel im 19. Jahrhundert


Autor(en)
Keller, Eva
Erschienen
Konstanz 2019: UVK Verlag
Anzahl Seiten
304 S.
Preis
€ 44,00
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Alix Heiniger, Universität Freiburg (Schweiz)

Dès le début du 19e siècle, la réforme pénitentiaire passionne les philanthropes d’Europe et d’Amérique du Nord convaincus que la prison constituerait un espace de resocialisation par l’inculcation de valeurs morales et laborieuses. L’ouvrage d’Eva Keller analyse ce courant réformateur à travers ses acteurs et actrices et leurs initiatives dans le canton de Bâle entre 1806 et 1911, deux moments de changements importants dans le dispositif d’exécution des peines.

Espace frontière, canton-ville dès 1833, Bâle offre un terrain intéressant pour appréhender les pratiques des philanthropes, leurs échanges avec des homologues d’autres cantons et des régions contiguës, ainsi que les difficultés concrètes rencontrées dans leurs activités. L’ouvrage offre une étude minutieusement documentée sur l’organisation de ces acteurs et actrices, leurs contacts avec l’étranger et leur adaptation aux changements politiques et économiques.

Revenant sur ces différents aspects de l’histoire de l’exécution des peines – l’organisation de la prison, les développements de la réforme, l’étude du milieu philanthrope, la collaboration entre acteurs et actrices privés, publics et religieux et le quotidien carcéral – l’analyse décompose la période en cinq phases, pour autant de chapitres, qui voient les acteurs renégocier leur intervention réciproque dans l’organisation de la prison.

Au début du 19e siècle, Bâle est une des premières villes, après Genève et Lausanne, à se doter d’un projet moderne d’exécution des peines. L’histoire de la réforme pénitentiaire bâloise commence avec la séparation de la prison et de l’hospice pour enfants, qui permettra de faire travailler les détenues et les détenus. Jouissant d’une grande liberté dans l’organisation de l’établissement, le gardien-chef, dont le poste est tout sauf prestigieux et plutôt mal payé, peut améliorer les conditions de vie détention contre une rémunération supplémentaire. Cependant, ce régime prend fin en 1813 alors qu’un nouveau règlement entre en vigueur. Certains aspects ne changent pas, comme l’obligation pour une grande partie du personnel de demeurer dans la prison. Le travail sert la resocialisation des détenues et détenus en leur imposant des habitudes laborieuses et une discipline, tout en pourvoyant aux dépenses de l’établissement. Une discussion s’ouvre alors sur la fonction de la contrepartie financière, le pécule, dont les deux tiers sont réservés pour la libération. L’auteure note que malgré les ambitions réformatrices, la prison bâloise conserve alors les pratiques du siècle précédent.

En 1821, la Gesellschaft zur Beförderung des Guten und Gemeinnützigen Basel (GGG, Société pour le bien et l’utilité publique de Bâle) s’engage dans la réforme pénitentiaire avec la création d’une commission de la prison, suivie trois ans plus tard de celle d’un comité des femmes. Ces dernières s’inscrivent alors dans un courant de la réforme sociale féminine intéressée au sort des prisonnières, dont l’Anglaise Elizabeth Fry a posé les premiers jalons.

L’élite bâloise dont sont issus les membres de la GGG est caractérisée par une forte cohésion sociale et détient le pouvoir politique depuis l’Ancien régime. Elle prospère dans la fabrication des rubans de soie, principale activité en ville également présente dans les campagnes, ainsi que dans l’industrie textile et la banque.

Ces philanthropes entendent combattre les désordres de la maison de discipline - vols, fuites, abus d’alcool et enfants engendrés à l’intérieur de l’établissement - devenus insupportable à leurs yeux. En cohérence avec la réforme carcérale qui se développe dans toute l’Europe, ils exercent une surveillance sur le fonctionnement de la prison. Un patronage des personnes libérées est mis en place en 1825, soit parmi les premiers en Suisse avec Genève et Lausanne. Pendant cette période, les réformateurs bâlois cherchent à introduire une classification des détenues et détenus, afin de séparer les personnes « besserungsfähig » de celles considérées comme criminelles d’habitude, et à utiliser le pécule comme moyen de stimuler la resocialisation.

Dès 1833, l’implication des membres de la GGG se renforce avec la création de la commission du pénitencier (Strafanstaltkommission, STK) dans laquelle ils siègent et qui les implique directement dans la gestion interne, la surveillance et la discipline. La STK s’intéresse aussi au travail à exécuter à l’intérieur de l’établissement, considéré à la fois comme un moyen d’éducation, de punition et une source de revenus. L’auteure analyse également la fonction du pécule consacré à l’achat de biens, mais, aussi et surtout, à l’éducation morale des détenues et détenus par l’apprentissage de la valeur du travail régulier et de l’épargne. La GGG aide aussi à trouver de l’ouvrage à exécuter dans la prison, initiative qui trouve un écho favorable parmi ses membres, heureux de pouvoir bénéficier de cette main d’œuvre incommensurablement moins onéreuse. Ils cherchent à imiter leurs homologues français et allemands qui ont transformé leur prison en véritables manufactures.

Le contexte géographique et l’origine extra-bâloise de la plupart des détenues et détenus ne facilite pas la tâche du patronage. Le comité des femmes, qui visite régulièrement les prisonnières et cherche à leur procurer un soutien moral, rencontre plus de succès. Elles seront plus tard influencées par les mouvements abolitionnistes (du travail du sexe) apparus dans les années 1870. Elles suivent aussi les libérées après leur sortie pour les aider à rejoindre leur famille, les placer dans d’autres établissements ou leur trouver des emplois. Alors que les hommes de la commission de patronage peinent à trouver leur place, le comité des femmes poursuit son activité avec une remarquable stabilité et s’allie au tournant du siècle avec la Ligue des femmes suisses pour le relèvement de la moralité et à l’Union des amies de la jeune fille.

De son côté, la commission du pénitencier continue à implémenter ses réformes. En 1835, elle nomme parmi ses membres le premier directeur de la prison. Son rôle et son profil se distinguent de ceux du gardien-chef, ce qui a pour effet de déplacer une part de la responsabilité et de l’autorité de la commission vers le nouveau directeur. Cependant, les conditions de détention restent problématiques. La nourriture fait l’objet de plaintes communiquées aux membres du comité des femmes en 1848, alors qu’un an auparavant onze prisonniers étaient victimes du scorbut. La STK renforce alors la discipline et songe à construire un nouveau bâtiment qui répondrait mieux aux besoins de l’exécution des peines.

Les années 1860 voient d’une part la construction d’un nouvel établissement bâlois (Schällemätteli en 1864) et la création de la Société suisse pour la réforme pénitentiaire, en 1867, à laquelle les Bâlois rechignent à adhérer. Ceux-ci se tournent à cette époque plutôt vers les réseaux transnationaux, qui sont en réalité des contacts situés dans les régions limitrophes. Avec la construction du nouvel établissement se pose la question de l’introduction du système progressif déjà en vigueur dans d’autres pénitenciers suisses, comme à Lenzburg. La STK joue alors un rôle important dans les discussions sur l’organisation du Schällemätteli, finalement construit en panoptique. Elle rédige également le règlement interne qui renforce le pouvoir du directeur. Le pasteur se voit attribuer la responsabilité d’une bibliothèque et de l’instruction interne.

La nouvelle constitution cantonale radicale de 1875 réduit l’influence directe des réformateurs, qui perdent leur fonction de surveillance de la prison avec la disparition de la STK. L’éviction des philanthropes serait en outre à l’origine des difficultés rencontrées dès les années 1870 pour faire travailler les prisonniers et les prisonnières. A cette période, les revenus de cette activité diminuent alors que les plaintes quant à une concurrence déloyale se multiplient.

Les philanthropes se contentent désormais du patronage et acceptent progressivement de collaborer avec leurs homologues des autres cantons. Une coordination à l’échelle du pays est réclamée à plusieurs reprises, avant la rencontre de délégués des sociétés de onze cantons en 1881, qui fondent la Société suisse de patronage, tout en refusant le modèle centralisé de la Société pour la réforme pénitentiaire. Les Bâlois affichent alors leur scepticisme vis-à-vis d’une initiative dont ils craignent les effets bureaucratiques. Finalement, en 1911 les cantons concluent un concordat sur le patronage et engagent un secrétaire chargé de coordonner les activités, trouvant enfin une réponse aux difficultés d’encadrer les personnes libérées renvoyées dans leur canton d’origine.

Dans son ouvrage, Eva Keller replace régulièrement son objet dans le contexte de la réforme pénitentiaire helvétique et internationale, dont les élites bâloises s’inspirent largement tout en adaptant les modèles étrangers au contexte local. Son analyse, souvent descriptive, prend dans certains chapitre la forme d’un inventaire des aspects du quotidien carcéral, ce qui témoigne aussi de la difficulté de construire un récit historique à partir de sources très fragmentaires et souvent peu loquaces sur les pratiques concrètes. L’auteure parvient toutefois à surmonter cet écueil en centrant son analyse sur des épisodes extraordinaires, dont elle exploite le potentiel heuristique pour mieux comprendre la marge de manœuvre des acteurs et actrices, comme le gardien-chef, le directeur, les détenues et les détenus ou le comité des femmes. L’ouvrage a également le mérite de livrer une analyse de longue durée, soit un peu plus de cent ans, en suivant l’évolution de la question pénitentiaire.

Redaktion
Veröffentlicht am
24.05.2022
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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